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L’Eglise et l’art contemporain
- 1 juin 2020
- Publié par : Auteur Invité
- Catégorie : Histoire de l'art Théologie de l'art
Faire entrer l’art dans l’église n’est pas une évidence. Faire aller les chrétiens vers l’art, non plus. Et l’on peut affirmer que le problème est encore plus complexe lorsqu’il s’agit d’aller vers l’art contemporain.
La question que je souhaiterais poser, ici, est la suivante : Qu’est-ce que l’art contemporain peut bien dire à l’Église ?
1. L’art comme signe des temps
Je commencerai par citer un reproche de Jésus :
« Vous savez discerner l’aspect du ciel et vous ne pouvez discerner les signes des temps. » Matthieu 16 : 13
Il y a longtemps que j’ai la conviction que tout ce qui relève de la création artistique peut être considéré comme un reflet des signes des temps. J’entends, par là, des indicateurs, des révélateurs de ce que les hommes sont. Ils sont pris dans un processus de devenir constant. Une œuvre d’art est toujours à situer dans son temps, et, en la prenant en compte avec sérieux, on peut toujours y découvrir du sens. L’œuvre d’art nous parle de nous.
Pourquoi aller vers l’art contemporain est-il aussi difficile ? Il est évident que l’art contemporain est victime de préjugés. J’en relèverai plusieurs :
1 – L’art contemporain n’est pas accessible.
Toute œuvre d’art est difficile d’accès, si l’on veut aller au-delà de la simple appréciation esthétique : « C’est beau. / C’est laid. » Mais la plupart du temps, l’œuvre contemporaine déroute le regardeur, qui n’en possède pas les codes et a l’impression que l’on se moque de lui.
2 – L’art contemporain n’est pas beau.
Je reviens sur le critère esthétique, tellement fondamental, quand on n’a pas d’éducation à l’art. En effet, dans une perspective classique, la première attente liée à l’œuvre d’art est qu’elle procure du plaisir. Mais le critère du Beau n’est plus un critère valable depuis que l’on est passé à la modernité. C’est ainsi. Il faut le prendre en compte.
3 – Ce n’est plus de l’art !
Le reproche est étroitement lié au préjugé précédent. Le regardeur établit l’équation : ce n’est pas beau / ce n’est pas de l’art. L’art contemporain a beau s’appeler « art », ses formes, très souvent non conventionnelles, « bizarres », empêchent de l’identifier spontanément comme tel.
4 – Tout ce qui compte, dans l’art contemporain, c’est l’argent !
Il est vrai que l’on est entré dans un « marché de l’art » et que des œuvres d’artistes contemporains peuvent être achetées à des prix faramineux. Au point que l’on bascule dans le jugement négatif, péremptoire, doublé du sentiment que … seuls quelques initiés peuvent accéder à ces œuvres-là.
Mon but, dans cet article, – je le précise d’emblée, – ne consistera pas à conforter ces préjugés. Au contraire, je voudrais me livrer à un exercice de compréhension, à partir d’une œuvre précise.
2. Arrêt sur œuvre
J’habite dans l’Est de la France. La FRAC Lorraine est le « fond régional d’art contemporain ». On s’attend à ce que cet organisme, comme un musée traditionnel, détienne des œuvres d’art tangibles, du type : tableau ou sculpture. Or, ce n’est pas nécessairement le cas. Comment est-ce possible ?
Il arrive, aujourd’hui, que certaines œuvres soient dématérialisées. Vous ouvrez de grands yeux …
La FRAC possède des prototypes d’œuvres, comme celui que j’évoquerai, et qui s’intitule : « Prototype improvisé de type « Nuage » », une œuvre de Yona Friedman.
L’œuvre n’existe pas, si ce n’est virtuellement, à titre de « prototype », c’est-à-dire : un mode d’emploi, en quelque sorte, pour réaliser l’œuvre.
Je citerai à plusieurs reprises des extraits de la brochure éditée par la FRAC Lorraine de Metz, en collaboration avec la Médiathèque Joseph Schaeffer de Bitche, dans le cadre de la réalisation de l’œuvre, sur le territoire de la communauté de communes, du 20 juin au 20 août 2016. (citations en italiques. )
Pour Friedman, ce ne sont pas les artistes mais chacun d’entre nous qui doit réaliser ses propres œuvres d’art. Comme il l’écrit : « Et qui fera cette auto-planification ? Vous-même ! » (…) Aucun plan n’a été produit pour réaliser ce nuage, c’est une « structure improvisée ». Pour Friedman, ce sont les œuvres désordonnées et imprévisibles qui sont en accord avec la vie. Ses structures évoluent au gré des besoins, en fonction du lieu dans lesquelles elles sont exposées et des gens qui se l’approprient. Ce sont des éléments de décor éphémères, comme c’est le cas de ce nuage. »
La proposition a donc été faite, dans une période donnée, et sur un territoire donné, à des structures locales telles que : écoles, foyer d’accueil médicalisé, maison d’accueil spécialisé, jardin d’enfants, maison de retraite, union départementale des associations familiales … de réaliser ce « prototype improvisé de type « Nuage » ».
Le matériau choisi a été le papier. Mais, à d’autres endroits, en d’autres occasions, le prototype a été exécuté avec : du grillage métallique, de la corde, du câble électrique, des sacs plastiques, des cagettes en bois, du fil de nylon, de la paille …
On se situe dans la mouvance que l’on nomme « arte povera » soit : de l’art « pauvre ».
« Ce nuage permet de transformer notre façon de percevoir et d’utiliser les déchets. Les œuvres de Friedman, réalisées à l’aide des matériaux les plus simples, soulèvent la question de la pauvreté, au cœur de ses préoccupations. »
Tous les groupes de personnes sollicitées n’avaient d’autres consignes que de fabriquer leurs nuages, en papier, des plus petits (écoles maternelles) aux personnes âgées (maison de retraite), sans aucune notion de compétences particulières : tous à égalité ! Les réalisations ont été rassemblées et montées, toutes ensemble, – et pas par l’artiste, – reliées par du fil de fer, le tout créant un gros volume en suspension, une structure éphémère, étrange, belle, exposée dans un lieu adapté (le caveau de la médiathèque de Bitche).
Qui est l’artiste ?
« Yona Friedman est né à Budapest en 1923. Il est architecte, et également connu pour ses dessins et installations artistiques. Il a conçu des plans pour des édifices majeurs tels que l’Opéra de Paris ( 1982 ), le Bronx Museum de New York ( 1986 ), ou le Musée du XXIe s. de Paris ( 1999 ). »
Sa démarche participe de l’utopie.
« Pour Friedman, une utopie ne peut s’installer que lorsqu’elle est portée par l’intégralité d’un petit groupe égalitaire, qui ne met pas ses membres en compétition les uns avec les autres, se gère seul et au sein duquel la communication est centrale. Ces nuages sont à comprendre comme des moyens de communication ; c’est moins leur forme qui compte que le message qu’ils véhiculent. « Prototype improvisé de type « Nuage » » transmet l’idée qu’il est nécessaire, dans les grandes métropoles contemporaines, de renforcer les liens sociaux et de se préoccuper de la récupération des matériaux non-recyclables. »
3. Ce que dit l’œuvre
En me lisant, vous êtes peut-être allé de surprise en surprise !
1 – Vous ne saviez pas qu’une œuvre pouvait être dématérialisée.
Eh bien, oui. Un organisme comme la FRAC de LORRAINE est détenteur d’une série de « prototypes » d’œuvres à réaliser. Ces œuvres existent d’abord à titre de formules.
2 – Pour vous, une œuvre est créée par un artiste, qui la signe.
Ce n’est pas le cas ! Ici, des individus, sans « don » artistique particulier, sont sollicités pour réaliser l’œuvre.
3 – Une œuvre est éternelle : elle témoignera, au fil du temps, du génie de l’artiste.
L’œuvre évoquée a une durée. Elle n’est pas créée pour durer.
4 – On emploie des matériaux nobles, comme le marbre, pour réaliser une « grande » œuvre d’art.
Non ! Friedman opte pour des matériaux de récupération, dans une perspective écologique.
Voilà bien de quoi déstabiliser celui qui n’a de représentations de l’art que celles liées à l’art classique. Nous en sommes loin ! Pour autant, faut-il condamner ces nouvelles formes ?
Je voudrais terminer cet article en mettant en évidence combien une œuvre telle que « Prototype improvisé de type « Nuage » », de Yona Friedman, rejoint des valeurs de l’Évangile.
Je précise, bien sûr, que je ne tiendrais pas nécessairement le même discours pour tout type d’œuvre d’art contemporain. Car j’en rejette certaines.
Le premier point qui m’apparaît est la profonde humilité qui ressort à plusieurs niveaux :
Le créateur ne se revendique plus comme tel. Le prototype de l’œuvre a été conçu par lui, mais il ne la réalise pas, ne la signe pas ; Il ne cherche pas sa gloire personnelle.
- Humilité dans le choix des matériaux, pauvres.
La démarche créative repose sur une conception égalitaire.
« Je suis doux et humble de cœur », dit Jésus. Matthieu 11.19
« Auprès de Dieu il n’y a pas de considération de personne. » Romains 2.11
Le second point que cette œuvre manifeste est, dans une société profondément minée par l’individualisme, la conviction de la nécessité de recréer du lien social. En effet, cette œuvre est participative. Elle est toujours créée ensemble par des personnes d’un même territoire, sans distinction d’âge, de sexe, de classe sociale, ou de capacités. L’exposition finale de l’œuvre, matérialisée, génère un plaisir esthétique (malgré tout) et la satisfaction d’avoir participé à quelque chose qui dépasse l’individu.
« Tu aimeras ton prochain. » Matthieu 19.19
Troisièmement, je suis frappé, aujourd’hui, dans la production artistique, par une certaine « haine de Dieu », qui peut se traduire, parfois, de manière violente dans les œuvres. Mais on distingue aussi une autre tendance : celle de la sacralisation de l’art. L’œuvre deviendrait le dernier lieu où l’on pourrait discerner des « traces du sacré » (pour reprendre le titre d’une grande exposition du centre Beaubourg, à Paris, en 2008).
Yona Friedman n’entre pas du tout dans ces perspectives-là. L’œuvre, telle qu’il la conçoit, est totalement désacralisée. Elle ne se donne pas pour plus que ce qu’elle est : le résultat de l’agir collectif d’une série d’individus.
« Ils ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur. » Romains 1.25. On ne peut faire ce reproche dans le cas de l’œuvre examinée.
Quatrièmement, ce que Yona Friedman envisage sous l’angle de l’utopie, on peut le formuler aussi par l’idée d’espérance.
Tout d’abord, la concrétisation de l’espérance de voir les hommes agir ensemble pour le bien et non pour le Mal, en créant du Beau.
Ensuite, de par cette volonté de recyclage des déchets, traduire une forme d’engagement pour la survie de la planète, ce qui a aussi du sens, aujourd’hui, pour un chrétien.
« Choisis la vie, afin que tu vives. » Deutéronome 30.19
En bref, vous avez peut-être écarquillé les yeux lorsque j’ai commencé à évoquer ce « Prototype improvisé de type « Nuage » ». J’espère qu’au bout de cette lecture vous admettrez que l’art contemporain peut faire signe, pour l’Église, et que le signe envoyé – par certaines œuvres, j’ insiste – peut n’être pas un signe négatif.
Article par Jean-Michel Bloch
Cet article a été reproduit avec autorisation, l’article original a été écrit par Jean-Michel Bloch et publié sur le site Evangile 21.